Dès l’accueil d’un chien dans un foyer, les humains attendent de lui qu’il aime les gens, les enfants qui le caressent sans cesse, les chiens, les chats et les poules, la ville, la campagne, qu’il n’aille déranger personne, qu’il soit en liberté mais sans sortir des clous, qu’il ne nous prenne ni nos affaires ni notre nourriture, qu’il n’aboie pas, qu’il fasse ses besoins bien comme il faut, qu’il ne mange pas trop vite, qu’il ne salisse pas, qu’il marche à nos pieds en laisse, et la liste est non exhaustive. Pour cela, la saucisse appétante ou les punitions qui font peur au chien vont fuser tout le temps : « petit chien, il faut que tu changes, et vite! ».
Bien entendu, apprendre, et guider un chien sont essentiels, pour que nous vivions ensemble avec plaisir, et surtout, de mon point de vue, pour qu’il soit un chien bien dans ses pattes, sans émotions auto-destructrices.
En fait, notre première intention est-elle d’avoir un chien qui soit un chien passe-partout qui ne dérange personne, ou bien un chien heureux ? Bien entendu le curseur est positionable à souhait sur cette échelle. Puis il y a la réalité.
Je ne m’intéresse pas au terme de « conditionnement » ni à ses déclinaisons. Et je ne dis pas que le conditionnement c’est mal (oui, il faut toujours se justifier quand on n’aime pas le conditionnement dans le monde du chien, sinon le courroux vous écrabouille !). Je dis qu’intentionnellement je ne fais ni ne pense « conditionnement », apprentissage, ou changement de comportement. Je pense relation de confiance, communication, émotion, mieux-être, relaxation, sécurité, cognition, résilience, adaptation, aménagements…
C’est un point de vue, je vous l’accorde.
Lorsque l’on crée les conditions d’une meilleure vie pour un chien, le chien « progresse » spontanément : il se sent mieux, a des émotions « positives », et il cesse des comportements qui ont été nécessaires pour assurer sa sécurité ou son homéostasie et qui ont pu nous gêner. Les progrès semblent alors se faire « tout seuls », sans acharnement.
Je pense qu’il est d’abord nécessaire d’ACCEPTER les limites du chien pour éviter d’être en colère contre lui, puis de l’aider à se sentir mieux dans chaque moment de vie avec nous, et alors le miracle se produit : le chien change. Alors, non, il ne devient probablement pas le chien parfait, celui dont chacun a rêvé.
Je ne me focalise plus sur un comportement à faire évoluer. J’accompagne la vie du chien dans sa globalité, et j’accompagne ses ÉMOTIONS. Et Point.
De mon point de vue, là où le chien ne « progresse » pas, c’est qu’il ne peut pas, à ce moment-là, dans ce contexte là. J’accepte et essaie de faire accepter aux humains les limites de leur chien, pour l’instant, ou à jamais. Je ne sors pas l’artillerie lourde pour que le chien change de « point de vue », de façon contrainte et résignée.
Je ne veux pas forcer le changement chez le chien. Quel droit aurais-je à faire cela ? On voit bien nos propres limites voire nos impossibilités à faire bouger nos propres comportements, pensées, émotions : certains ne bougeront jamais. Pourquoi ne suis-je pas en mesure d’accepter davantage qui est mon chien, alors que moi je suis incapable de changer de bien des façons, malgré le fait que je puisse gêner ou faire souffrir mes proches?
Les humains ont à coeur de changer les autres, les comportements des autres, parce que ces comportements les gênent. Tout le monde s’aperçoit tôt ou tard que changer les comportements de quelqu’un, c’est une lutte infructueuse. Pour y parvenir, il faudrait changer les schémas de pensée de l’autre, sa mémoire, ses émotions, etc… Nous n’avons pas ce super pouvoir. Se changer soi-même, avec des efforts, c’est possible (mais souvent douloureux : donc on préfère que l’autre change, ça nous fait moins mal !).
Chez le chien, voilà que l’on nous présente vraisemblablement des outils magiques pour faire changer le chien, le modeler comme on l’a rêvé ! Au moins un qui ne nous gênera pas dans notre propre vie, tiens ! Et voilà notre apprenti Pavlov, avec sa boîte de magicien, parti à faire en sorte que le comportement de son chien se modifie à sa guise. Le vœu pieux est fait que le nouveau comportement, trop joli d’après petit Pavlov, une fois changé va se déployer dans tous les contextes de sa vie. Et que Monsieur Chien ne fera plus de bêtises (lisez : ne dérangera plus personne). Si vous croyez à cette étonnante transformation de votre chien en super héros, je vais peut-être vous décevoir.
Généraliser un comportement est impossible : la vie se charge de nous rappeler que dans chaque contexte, chaque situation, face à chaque personne, nos comportements s’adaptent, nos émotions diffèrent, et une stratégie comportementale spécifique est alors nécessaire. Ce n’est pas parce qu’avec mes amis je discute avec entrain et décontraction, qu’avec la nouvelle personne rencontrée aujourd’hui, sympathique au demeurant, je vais être la même qu’avec des personnes que je connais depuis longtemps et en qui j’ai confiance. Le chien non plus ne sera pas le même, en fonction du chien ou de l’humain en face de lui.
Lui apprendre un comportement qui ferait figure de réponse dans toutes les situations sociales est une chimère. Il faudrait aussi conditionner toutes les réponses émotionnelles du chien.
N’importe quel être vivant doit constamment s’adapter à son environnement, quasi à chaque instant, et il y répond de manière différente.
Et si, dans le monde du chien, au lieu de se focaliser sur le terme de conditionnement ou d’apprentissage, nous évoquions toute la complexité et la beauté du vivant, à chaque instant, qui est capable de s’adapter à son environnement grâce à sa cognition, sa physiologie, et même sa génétique ? Mais ces domaines et termes si tortueux nous font peur : nous ne connaissons pas grand-chose à la cognition et au cerveau, et ce manque de connaissances nous fait bien perdre le contrôle ! L’Homme a besoin de savoir, de contrôler, de maîtriser…son environnement, et l’Autre. Alors le conditionnement c’est bien plus simple et adéquat que les neurosciences.
L’Homme ne cherche nullement à se conditionner lui-même : le matin en vous levant, vous demandez-vous comment vous allez auto-conditionner vos comportements de manière à être plus efficace et prévisible? Combien d’entre vous refusent un système éducatif « conditionnant »? L’humain déteste le conditionnement pour lui-même, souvent se bat contre des automatismes ou des pensées qui ne lui appartiennent pas et qui lui gâchent la vie. L’humain déteste qu’une personne ou un système le conditionne : quand c’est un autre qui décide pour nous de nos comportements, de nos façons de pensée, alors nous perdons notre libre arbitre, notre liberté.
Le conditionnement (dressage, obéissance, modelage…) est pourtant devenu, dans le monde du chien, le meilleur ami de l’homme, avant le chien lui-même : Vite vite, Fido doit faire comme je pense qu’il est bon de faire sans son consentement!
A chacun son éthique. A chacun sa capacité d’empathie. Ajuster le curseur de ses intentions, entre « le chien parfait qui ne dérange personne » et « le chien qui est bien dans ses pattes », est personnel. J’ai placé personnellement le curseur très proche du « chien bien dans ses pattes », quitte à être moi-même souvent dérangée par les comportements de mes chiens, contre lesquels je refuse de lutter, la lutte serait vaine pour de nombreuses raisons. Mes chiens ne dérangent personne d’autre. C’est mon choix, c’est mon éthique, qui ont pour terreau ma capacité d’empathie.
Rappelez-vous que nos chiens vivent en captivité avec nous, suite à notre décision. Explorez le vivant, merveilleux et résilient. Lâchez du contrôle, cessez la lutte. Votre bataille est souvent inutile. Acceptez l’inévitable. Ce n’est pas se résigner, c’est permettre à de nouvelles portes de s’ouvrir.
Mon souhait le plus cher est que votre chien lui-même redevienne votre meilleur ami, tel qu’il est, pour que vous puissiez encore mieux le guider vers une vie meilleure ensemble.